Journal Jeune Afrique
Directrice générale d’une entreprise de conseil en communication politique, cette Franco-Marocaine tisse sa toile entre les deux rives de la Méditerranée.
« La première fois que j’ai serré la main d’Abbas El Fassi [l’actuel Premier ministre marocain], j’avais 10 ans, raconte Sihame Arbib, avec un sourire radieux. C’était le 18 novembre 1992, jour de la célébration de l’indépendance et… de mon anniversaire ! »
À 26 ans, cette Franco-Marocaine qui a grandi à Bondy, dans la banlieue parisienne, dirige Apim Consulting, un cabinet de conseil en relations publiques, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (la « zone Mena »). Avec une équipe de cinq consultants, sa jeune société vient de dépasser le million d’euros de chiffre d’affaires et compte parmi ses clients la Commission européenne, les Nations unies et l’État du Qatar. Pour sa part, Sihame vient d’être nommée par l’Unitaid, un organisme onusien chargé du financement de la santé dans les pays en développement, conseillère spéciale pour la zone Mena. Il faut dire qu’elle ne ménage pas sa peine. « Je suis une femme de réseau, explique-t-elle en riant, j’adore rencontrer des gens. »
En 2002, fraîchement diplômée de Sciences-Po Paris, elle est chargée de mission pour la communication au ministère français de la Défense. Après quoi, elle part vivre un an au Maroc où, sur proposition du gouvernement, elle rejoint le cabinet du ministre délégué aux Affaires étrangères afin de mettre au point une nouvelle politique en matière de tourisme et de logement à destination des Marocains résidant à l’étranger (MRE). L’expérience la ravit, mais Sihame ne tient pas en place. De retour en France, elle débauche l’un des « chasseurs de têtes » qui la sollicitent, Stefano Sedola, avec lequel elle s’associe pour créer un cabinet de consultants basé à Bruxelles et à Paris. En 2008 naît Link World Vision, la branche casablancaise de la société. Depuis, Sihame multiplie les allers-retours entre le royaume et l’Europe. Mais ce qui fait courir cette Parisienne hyperactive, c’est bien le Maroc.
Au ministère de la Défense, on l’appelait « la Marocaine », qualificatif qui n’était pas pour lui déplaire : « Dans mon milieu professionnel, le fait d’avoir des origines arabes donne la possibilité d’accéder à des postes à responsabilités, surtout en ce moment. » Cette assurance est un héritage familial, le fruit de son éducation : « Mes parents m’ont toujours dit : “Sois fière de ce que tu es !” »
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Elle est la petite-fille d’un officier de l’armée française, côté maternel, et d’un ouvrier de chez Renault, côté paternel. Ses parents étant nés et ayant toujours vécu en France, elle n’a aucune attache familiale au Maghreb. Pourtant, le Maroc est, dès l’enfance, très présent dans sa vie. Vice-président de l’association franco-marocaine de Bondy, son père tient à ce que Sihame soit de tous les grands événements, fête du Trône ou cérémonies de l’Indépendance. La petite traîne un peu des pieds, mais c’est là qu’elle acquiert son sens de l’entregent.
À l’époque, le bled, c’est pour elle la plage et les copains à El-Jadida, où ses parents possèdent une maison de vacances. Un jour, ces derniers lui offrent un voyage à Marrakech, hors saison touristique. Elle a 16 ans et c’est une découverte. « J’y ai vu un autre Maroc », dit-elle. Sur la place Jamaa el-Fna, elle est bouleversée par les enfants qui mendient. Alors, dès son retour en France, elle crée Enfance des deux rives. Au début, il ne s’agit que de récolter des fonds au bénéfice d’associations qui luttent localement contre la pauvreté. Mais bientôt, Sihame réunit élus et acteurs associatifs de municipalités françaises et marocaines autour de projets communs.
En avril 2001, par exemple, un partenariat sportif entre Bondy et Berkane permet à de jeunes athlètes marocains de participer au Championnat du monde des moins de 18 ans. L’association est un tremplin. Sihame sollicite le maire de Bondy et fréquente assidûment l’ambassade du Maroc. Bref, elle commence à tisser sa toile entre les deux rives de la Méditerranée.
Ses années Sciences-Po sont, à cet égard, déterminantes. Les conventions d’éducation prioritaire, qui assouplissent les modalités d’admission pour les élèves des lycées défavorisés, n’existent pas encore lorsque, munie de sa mention « très bien » au bac, Sihame intègre la prestigieuse école. Ses deux petits frères la talonnent.
Lors des municipales de 2001, elle coordonne le staff de campagne d’Élisabeth Guigou, alors ministre et candidate socialiste à Bondy. Elle en profite pour peaufiner sa stratégie de communication. Mais c’est aussi Rue Saint-Guillaume qu’elle fait la connaissance de Michèle Alliot-Marie, la dirigeante du RPR, qu’elle rejoindra au ministère de la Défense après le retour de la droite au pouvoir, en 2002.
En France, Sihame Arbib ne s’embarrasse donc pas d’étiquette partisane. Elle se sent proche des villepinistes, mais se tient à l’écart de la « politique politicienne ». « L’offre actuelle ne me satisfait pas », dit-elle. Rien de tel dans le royaume, où, en tant que Marocaine résidant à l’étranger, elle vient d’entrer au conseil national du Parti Authenticité et Modernité (PAM), que dirige Fouad Ali El Himma. Pourquoi ce choix ? « Parce que tout y est à faire et qu’il est très excitant de participer à l’élaboration d’un programme politique. » Et puis le PAM est, à l’en croire, ouvert aux jeunes et aux MRE, deux sujets qui lui tiennent à cœur. En 2005, par exemple, elle a organisé une caravane pour célébrer les 30 ans de la Marche verte. Trois cents cinquante Marocains de l’étranger se sont rendus à Dakhla pour apporter leur soutien à la « marocanité » du Sahara occidental. C’est à cette occasion que Sihame a été nommée porte-parole de l’Alliance des Marocains du monde.
Stimuler l’engagement des étudiants marocains grâce à un « mentorat politique », c’est l’un des « projets citoyens » mis en œuvre par son cabinet de conseil à Casablanca. Au programme : rencontres-débats mensuelles avec des responsables politiques de toutes obédiences et coaching personnalisé pour les jeunes désireux de se présenter aux prochaines législatives. L’université Mohammed V-Agdal à Rabat sera la première à tester le projet, en octobre.
En 2006, à Paris, la jeune femme a fondé le club Compétences, synergie et initiatives (CSI), qui réunit « l’élite franco-marocaine » et dont l’un des objectifs est d’aider les jeunes issus de l’immigration à devenir des dirigeants politiques. « Nous soutenons sans distinction tous nos adhérents, qu’ils soient au PS, à l’UMP ou au MoDem », précise-t-elle. « Sihame est une politique parce que c’est une citoyenne engagée. Mais elle défend une cause qui dépasse les clivages partisans », explique Najat Belkacem, adjointe au maire de Lyon, porte-parole de Ségolène Royal et membre du club CSI.
Dernier coup stratégique en date, Sihame Arbib vient d’entrer au comité de pilotage de l’université internationale de Rabat. Avec Link World Vision, elle assure désormais les relations publiques de ce projet de pôle d’excellence académique soutenu par un don royal. En revanche, elle ne vise pas, pour l’heure, de mandat politique national. « Je veux prendre le temps de découvrir les codes du pays », explique-t-elle. Mais elle apprend vite.
En France, elle n’a, à l’en croire, « jamais souffert de discrimination ». Elle se sent donc « aussi bien ici que là-bas ». Mais sa priorité du moment est bel et bien le développement de son cabinet casablancais. Pourquoi tant donner au Maroc ? « Quand on tombe amoureux, ça ne s’explique pas ! » répond la businesswoman aux allures de jeune fille.